07 juin 2022

SOUVENIRS, SOUVENIRS

 

En mai, fais ce qu'il te plait ! Mais en juin, tu reviens.

Les participants ont exploré un souvenir d'enfance qu'ils ont développé au cours des séances du mois dernier. Les volontaires se préparent au concours lancé par HappyVisio, baptisé "Récit de vie".

Forts de cette expérience, les écrivains aguerris ont affronté la consigne fixée par l'animateur toujours prompt à piéger ses victimes... Une autrice s'est même lancée avant d'entendre la règle du jour : c'est ça, l'ambiance de l'atelier d'écriture !

 

Mettez en scène un objet que vous avez connu dans votre enfance

et retrouvé au cours d'une balade (brocante, musée, vide-grenier, etc.)


Le chariot des souvenirs

 

Ô miracle ! Sur cette foire-à-tout, un petit chariot en bois avec son petit matelas, les souvenirs remontent.

À la maison, nous jouions avec mes petites voisines au grillage qui séparait nos jardins, elles de l’autre côté, et nous échangions des propos de petites mamans, avec nos poupées dans le berceau. Moi, c’était un nounours.

Je ne me souviens pas très bien, mais elles avaient des landaus avec des poupées, des biberons et des draps pour couvrir les bébés, c’était déjà la classe au-dessus, leurs parents étaient les employeurs de Maman ! Moi, le chariot en bois avait été fabriqué par l’un de mes oncles ; il y avait une petite couverture, un oreiller, un nounours. Et pendant des heure, cela pouvait durer.

Que pouvions-nous nous raconter ? Certainement les propos de nos parents.

Nous avions aussi des dînettes, et tout était rythmé par passer l’après-midi jusqu’à l’appel des parents. Il fallait rentrer, c’était l’heure de la soupe. Nous nous disions au-revoir comme de grandes dames et nous fixant rendez-vous à demain. Nous nous étions bien amusées, avec peu de choses.

 

Moyen de locomotion

 

Julia, notre petite-fille, ne connaît pas le petit village du Bec-Hellouin.

Nous décidions alors, un dimanche, de lui faire découvrir ce joli site avec son abbaye.

Après avoir garé la voiture, nous nous promenons à pied pour admirer les belles façades normandes à colombages et passons devant un magasin d’antiquités. Julia s’intéresse à tous ces objets, bibelots, vases, brocs. Nous entrons toutes les deux alors qu’André préfère continuer sa petite promenade.

Dans le fond du magasin, j’aperçois alors, glissé sous une table ancienne, un petit siège posé sur 3 roues, une chaîne et deux bras métalliques pour entraîner le tout.

Je demande à l’antiquaire, il peut le sortir de cette cachette pour le montrer à Julia.

— Qu’est-ce que c’est ? me demande-t-elle.

— C’est l’ancêtre de la petite voiture à pédales, que l’on m’avait offerte pour mes cinq ans !

— C’est un cyclorameur, précise l’antiquaire.

Je me remémore alors les efforts que je devais faire avec celui que j’avais reçu à Noël. C’était très bien dans les descentes, mais sur le plat il fallait vraiment tirer très fort. Pour muscler les bras, c’était idéal.

Heureusement, mon père qui était bricoleur, réalisant que c’était trop dur pour moi, démonta le petit moteur d’un vieux tourne-disque et l’adapta sur cet enfin.

Ouf, après il avançait presque tout seul.

— Génial ! conclut Julia.

 

La lessiveuse

 

Aujourd’hui dimanche une grande foire à tout anime la commune. Je propose aux enfants d’aller faire un tour après le repas. De stand en stand, nous découvrons des soupières, des vases, des services à café, des carafes que les personnes veulent vendre. Et tout à coup, je vois une lessiveuse. Mon esprit saute les années, j’ai dix ans. C’st la lessive à la maison.

L’ambiance est particulière, survoltée. Nous habitons au rez-de-chaussée et ma mère fait la lessive au deuxième étage, où se situe la buanderie qui donne sur la terrasse. Je déteste les jours de lessive, ma mère n’arrête pas sa gymnastique : rez-de-chaussée, deuxième étage, deuxième étage, rez-de-chaussée.

Le linge chauffe dans la lessiveuse au rez-de-chaussée et ma mère le monte au deuxième étage le frotter, le rincer et l’étendre sur de grands fils à la terrasse. Le climat est électrique, car la fatigue est là.

Aujourd’hui, nous sommes à des années lumière en pensant à nos machines à laver, dotées de boutons qui choisissent le cycle de lavage, la matière du linge et qui le sèchent aussi.

 

L’amorce du souvenir

 

Devant les tables encombrées d’objets et ustensiles anciens, le brocanteur me héla deux ou trois fois, et devant son insistance, je finis par m’arrêter devant son bric-à-brac.

Mes yeux parcoururent rapidement la surface et le monticule d’objets exposés, car mon intérêt était très limité. Puis peu à peu, mon regard se posa sur un pistolet métallique mais qui ressemblait fort à celui que ma grand-mère m’avait envoyé comme cadeau dans les années 60.

À l’époque, il s’agissait d’un pistolet « à bouchon », c’est-à-dire qu’il provoquait une petite explosion au moment du tir, il suffisait pour cela de mettre une amorce-bouchon dans le canon et un choc intérieur éclatait le projectile.

Je me saisis immédiatement de ce jouet. Le vendeur, surpris, me dit :

— Vous avez trouvé votre bonheur ?

Devant ma bouche bée :

— Oh oui, et même bien plus que ça !

Quelques minutes suffirent pour que je lui raconte les circonstances heureuses du cadeau de ma grand-mère. Il n’y avait pas foule devant le stand du vendeur et ainsi, il voulait bien m’écouter.

Devant ces révélations, somme toute banales, il me dit :

— Je vous fais ce souvenir pour dix euros.

Aussitôt ma réponse fusa :

— C’est tout ? Allez, je suis content, je vous en donne vingt !

Je lui tendis mon billet et récupéra aussi ce qui fut pour moi un petit trésor.

Cette surprise me réconcilia quelque peu pour ces balades qu’on appelle « foires à tout ».

 

Thierry la Fronde

 

Je découvris un jour, par hasard, dans une brocante d’un petit village, un objet que je n’avais jamais pensé revoir et qui me rappelait beaucoup de souvenir.

Une simple fourche en bois, aux deux extrémités des lanières découpées dans une vieille chambre à air de vélo, d’une vingtaine de centimètres, des élastiques reliés à un petit morceau de cuir carré, de cinq centimètres sur cinq, où là, on pouvait pincer un projectile, un caillou, un bonbon ou une bille.

La fronde, c’était un lance-projectile dangereux ; il fallait faire attention pour ne pas blesser personne, àa me permettait moi de me sentir plus fort, je pouvais faire envoler les oiseaux à distance sans les blesser, envoyer des cailloux loin dans la mare pour effrayer les canards et les oies.

Nous faisions surtout avec les copains des concours sur les boîtes de conserve ou éventuellement les petites bouteilles. Bref, le but était d’avoir toujours avec soi cet engin interdit, pour s’amuser entre nous.

Retrouver cette chose après tant d’années a réveillé en moi des souvenirs oubliés, enfouis dans ma mémoire.

Je fais quoi ? Je l’achète ou je ne fais que l’admirer, en pensant à plein de choses vécues à l’époque ?

Non, finalement, je préfère laisser la fronde sur l’étalage, j’en profite pour discuter avec la personne qui cherche à la vendre, lui n’avait pas connu ça et n’avait qu’une vague utilité de l’emploi.

 

La bouchonneuse de Papa

Le tire-bouchon a de multiples formes : le De-Gaulle qui écarte les bras quand la tige filetée entre dans le liège, la vis sans fin qui pénètre jusqu’à traverser le bouchon et même l’aiguille qui perce avant d’injecter l’air qui extirpe le bouchon. J’ai crois en un demi-siècle une flopée de tire-bouchons capables d’attirer les collectionneurs ou entrer dans un musée. Mais la pince à enfoncer le bouchon dans le goulot, je n’en ai connu qu’une seule : celle de Papa.

Chaque année, à la rentrée des classes, nos fins d’après-midi se passaient dans les vergers à ramasser les pommes, les mettre en sacs et aller au café du village acheter un « acquis » qui autorisait à ramener la récolte vers la maison. Que de souvenirs avec ce champ, ce bistrot et surtout cet « acquis », mot magique pour un papier effacé de ma mémoire.

Ensuite, nous attendions la presse qui venait écraser les pommes et verser le jus dans les tonneaux que nous poussions avec Papa dans la cave. Là se déroulait le miracle qui transformait le jus de pomme en cidre et en boisson. Un jour, Papa déclarait que l’heure était arrivée de mettre en bouteille. Aujourd’hui encore, la simple expression « mettre en bouteille » sonne comme une évidence : seul le cidre mérite cet honneur et les bouteilles de la cérémonie sont uniques, les vignerons mettent le vin en bouteille – je le concède – mais mettre en bouteille, sans autre précision, évoque le cidre en général et celui de Papa en particulier.

Branle-bas de combat : les flacons vides ont trempé toute la nuit dans l’eau froide où parfois une couche de glace s’est formée. Maman assure la mission de faire bouillir une marmite où nagent les bouchons de liège. Le film des souvenirs mélangent les images, le scénario est confus, l’ordre des séquences n’offre plus la fluidité des actions. Sortir les bouteilles propres de l’eau et les aligner dans la cave ; piper le nectar par le jeu des vases communicants ; passer la bouteille pleine à celui qui se brûle en sortant le bouchon du bouillon ; enfin, cerner, pincer et enfoncer le bouchon dans le goulot à l’aide de la bouchonneuse, aujourd’hui devant moi dans ce musée de la vie rurale.

Ainsi, mon enfance devient un moment historique, les colères paternelles parce que je traînais se transforment en faits mémorables et l’objet de mes souffrances enfantines est exhibé comme le témoin de temps révolus. Car j’ai souffert à cause de cette bouchonneuse : je devais en même temps serrer les deux bras pour comprimer le bouchon et le rendre plus étroit que le goulot, puis, sans attendre qu’il se détende, l’enfoncer en appuyant sur le levier. Mais trop souvent, l’effort dans un sens usait toute ma vigueur et me privait de la force nécessaire vers le bas. D’autres fois, le bouchon pleurait misère et refusait d’entrer là où je le destinais.

Je m’embrouille dans mes explications, alors que mon petit-fils regarde la mise en scène d’une cave d’autrefois dans le musée moderne :

— Dis, papy, la boule au-dessus du bouchon, tu la collais après ?