ÉCRIRE CE QU'ON A ENTENDU DIRE
Comment varier la façon de rapporter des propos entre les personnages ?
Certains en ont envie, même si quelques auteurs avancent que le verbe dire est le plus clair et facile à saisir. Après avoir reçu une fiche recensant les mille et un verbes de secours, chaque auteur a imaginé une scène avec trois interlocuteurs discutant de l'atelier d'écriture : un participant ; un détracteur sans savoir de quoi il parle et le dernier qui découvre cette activité.
Texte A
Jean, André, Claude se retrouvent au Café de la place, comme tous les mardis. Ils parlent du quotidien, de leurs activités. Aujourd’hui, Jean aborde le sujet qui lui tient à cœur, son atelier d’écriture, il décrit les séances avec enthousiasme, il aimerait sans doute inviter Claude et André à adhérer.
Claude refuse de poursuivre leur conversation sur ce sujet.
— Atelier d’écriture, dit-il. Écrire quoi ? Écrire pourquoi ? Moi, je préfère lire, regarder la télévision, échanger avec les amis, me promener. Non, vraiment cela ne m’intéresse pas et je ne comprends pas ton enthousiasme.
Jean explique et décrit le plaisir qu’il ressent pendant les séances d’atelier d’écriture.
— J’apprends à donner une vie aux mots, je développe ma curiosité, je joue avec mon imagination.
André boit son café, il n’écoute pas, son esprit vagabonde loin, il rêve. Il ne comprend pas les échanges passionnés de ses amis, l’écriture est un domaine inconnu, lointain ; il pense aux difficultés rencontrées à l’école. Le maître usait de patience, mais André rêvait de montagnes, d’animaux en liberté et l’écriture l’ennuyait.
Jean était très fier de lui. En début d’année, il s’était inscrit à un atelier d’écriture et ça lui plaisait beaucoup. Lors d’une réunion avec les copains, Jean décida de leur en parler.
— Vous ne savez pas, les gars, je me suis inscrit à un atelier d’écriture.
— Ah bon, répondit Pierre, c’est quoi ça ?
— Tu ne connais pas, fit Yvan.
— Bien non !
— C’est pour les snobs qui croient qu’ils savent écrire. Ils se prennent tous pour des écrivains comme Chateaubriand, Flaubert et compagnie.
— Ah bon, s’exclama Pierre.
— Mais pas du tout, répondit Jean, ce sont des gens qui s’intéressent à la lecture, à l’écriture et qui éprouvent l’envie de s’améliorer.
— Peut-être, répliqua Yvan, mais tu ne m’ôteras pas l’idée que c’est quand même des gens qui se croient plus intelligents que les autres.
— Pourtant, dit Pierre, ça a l’air pas mal, j’aimerais bien, moi, savoir écrire des histoires.
— Bien, viens avec moi à la prochaine séance, fit Jean. Tu verras
— D’accord, répondit Pierre.
— Eh bien, maintenant en voilà deux qui vont se prendre pour des champions de l’écriture. Vous les sortez quand, vos premiers livres ? Faites pas cette tête, je rigole !
À la chorale, une conversation s’engage sur l’atelier d’écriture dont je fais partie.
Geneviève, l’éternelle contestataire, s’exprime et ironise sur notre savoir-faire. Lise-Marie nargue Geneviève, ces deux-là heureuses de se chipoter, se lâchent sur le sujet.
Je tergiverse, je soupire et leur fait entendre qu’il est agréable de déblatérer sur des sujets sans dramatiser et discuter ensuite de ses écrits. Lise-Marie pas très enthousiaste grommelle :
— Il y a mieux à faire que de baragouiner à vos âges !
Geneviève, très sûre d’elle, dit, assez méprisante, que cet exercice puéril ne lui serait d’aucun intérêt.
Je me tais, sinon je vais leur aboyer dessus.
William rentrait chez lui, un dossier à la main, la capuche du blouson sur la tête pour se protéger de la pluie.
— Eh, William ! C’est moi ! Tu ne m’as même pas vu avec cette capuche sur le front, s’exclame José.
— Ah, mes amis, bonjour José, bonjour Sylviane, bien content de vous voir, se réjouit-il.
— Mais d’où reviens-tu ? questionne José.
— De l’atelier d’écriture, répond William ; je voulais justement vous en parler ; entrons boire un café dans ce petit bar.
Les voilà installés à l’abri de la pluie.
— Qu’est-ce que c’est, un atelier d’écriture ? questionne Sylviane, tu fais des dictées ? Tu recopies des textes ?
— Tu as envie de retourner à l’école, se moque José.
— Pas du tout, réplique William ; c’est très intéressant. Un animateur te donne des idées, des consignes et des conseils ; ensuite tu écris un texte.
— Ça me plairait bien, fit Sylviane, d’un air enjoué.
— Inutile, rétorque José, je n’ai pas besoin de ça pour écrire. Tu te souviens, Sylviane, des poèmes que je t’écrivais quand j’étais à l’armée…
— Justement, argumente William, pour la Saint-Valentin, l’animateur nous a demandé d’écrire un poème d’amour. Ça t’aurait convenu.
— Mais je n’ai pas envie de raconter ma vie personnelle, protesta José.
— On ne te demandera pas de le faire, rétorqua William.
— Est-ce que l’ambiance est sympa ? questionna Sylviane.
— Super sympa ! répondit-il, essayez de venir, ne serait-ce qu’une fois ; ensuite, vous ne pourrez plus vous en passer.
— Oh, bougonna José, mais c’est pour faire plaisir à Sylviane. Après, on verra…
— Je suis sûr que ça vous conviendra à tous les deux. À lundi, alors.
— Tiens, dis donc, je voulais te dire : je fais partie d’un atelier d’écriture depuis peu. Ça pourrait peut-être t’intéresser.
— Pas du tout, ça ne m’intéresse pas. Je suis contre l’école, la hiérarchie et tout le saint frusquin…
— Ah bon, je ne te connaissais pas sous cet angle : eh bien, écoute qu’à cela ne tienne, je trouverai bien quelqu’un d’autre !
— Eh bien moi, s’écria Jules ; ça pourrait éventuellement m’intéresser. Je suis de nature curieuse, même si je n’ai pas l’âme d’un écrivain.
— Écoutez, les amis, y a pas besoin d’être sortie de Sciences Po. Moi, je peux vous dire que je m’y intéresse de plus,; alors que je n’étais pas partant au départ. Et toi, Jules, qu’est-ce que tu en penses ?
— Et pourquoi pas ? Et ça se passe à Dieppe, sans doute ?
— À Saint-Nicolas. Encore mieux.
— Je connais tout le monde et rien que de savoir pour qui la majorité a voté, je n’irai jamais.
— Mais comment ça se passe ? demande Jules.
— Très bien, notre coach, ou conseiller si tu préfères, est sympa. Comme disait ma grand-mère : il boirait bien un cop avec un ouvrier, d’autant plus que ce n’est pas lui qui paie – non – il est très sérieux, il est même allé faire écrire des condamnés dans les prisons. Faut le faire…
— Ah oui, il a peut-être été condamné lui-même !
— Bon, Jules, finalement : ça t’intéresse ou pas ?
— Oui, finalement, tu n’as qu’à m’inscrire, j’essaierai de me montrer moins bête que je n’ai l’air.
— Pour moi, pas question : inutile d’essayer de me convaincre, je reste sur mes positions.
Annonçant à des amis que j’étais adhérent à l’atelier d’écriture du CEPSNA, Jean me promit de venir voir au moins une fois de quoi il retournait.
Brigitte quant à elle refusa tout contact ace ce type d’atelier, malgré les efforts que je fis pour les persuader.
— Ah, me dit-elle, j’écris déjà, je corrige même Jean, alors c’est pas pour moi ! J’ai peur d’en savoir plus que ton prof.
Jean, malgré sa promesse, ne vint pas. Brigitte l’avait dissuadé.
— Tu comprends, dit-elle, nous avons eu du mal à trouver un style et on risque de nous ficher tout par terre. Comment s’intégrer dans un groupe, alors que nous sommes en binôme.
— Il a bien insisté que polir sa prose au contact des autres ne pouvait être que bénéfique !
— Rien à faire ! C’est niet !
Elle en avait lu, de ces gribouillis : ça la faisait rire. Jean, interloqué, aurait bien voulu être confronté à un véritable atelier d’écriture, qui, sans se prendre au sérieux, permettrait de progresser dans les différentes façons de transcrire ce qu’on imagine ou ce qu’on pense.
— Tu ne trouves pas que, dans la transcription de dialogues, on a des progrès à faire ?
Pour Brigitte, ce n’était pas le problème :
— On peut toujours faire du dialogue indirect.
Il l’aimait bien, ça ne lui plaisait pas de la voir si butée.
Jean s’imagina un instant qu’il lui échapperait et qu’ainsi elle perdrait ses prérogatives de correctrice. Il y avait peut-être bien de cela après tout ? Il n’insista pas, il ne voulait pas jeter de grain de sable dans ce couple littéraire qui s’entendait si bien.
Albert attend ses copains sur le banc du parc Bayard, le rendez-vous des amis au retour des courses.
— Tiens, te voilà, lance-t-il à Gérard.
— Salut, c’est la forme ? réplique l’acheteur du journal.
— Quoi de neuf aujourd’hui ? demande Albert en désignant le quotidien qui dépasse du cabas.
— Rien de particulier. Ils parlent du CEPSNA qui rouvre son atelier d’écriture le 6 septembre.
— Son quoi ? s’étonne Albert.
Gérard hésite un instant, il ne sait pas trop quoi dire à propos de l’activité, il en a vaguement entendu parler, mais n’en a compris que des bribes disparates.
— Un truc où ils se prennent la tête, maugrée-t-il. Des gens qui se plaisent à se torturer les méninges.
— Quelle idée, s’exclame Albert. Pourquoi ils appellent ça de l’écriture ?
— Ah, s’écrie Jules qui pointe le bout de son nez. Tu veux te mettre à l’écriture ?
— Non, rigole le questionné, c’est Gérard qui me raconte ce qu’il a lu dans le journal.
— Et qu’est-ce que tu lui as dit, ironise le nouveau venu en s’adressant à l’informateur.
— Il chantait qu’au CEPSNA, ils se torturent avec l’écriture, résume le copain intrigué.
— Pas vrai, s’insurge Gérard qui n’aime pas entendre ses propos déformés, tu racontes n’importe quoi. Dans le journal, ils parlent de l’atelier d’écriture, une connerie pour les gamins, un truc pour s’amuser avec les fautes d’orthographe ou les règles de grammaire, une espèce de Mot le plus long ou Questions pour un champion… J’irai jamais y mettre les pieds.
— En voilà des nouvelles, se moque Jules. Et tu tiens ça de qui ?
— C’est connu ! tempête l’informateur.
— Je vais te donner une autre version, celle de quelqu’un qui y met les pieds, comme tu dis.
— Albert écarquille les oreilles, il s’étonne d’avoir des copains si différents : l’un qui affirme ses idées sans les avoir vérifiées et l’autre qui participe à une activité dont lui-même n’a jamais entendu parler.
— On se retrouve de temps en temps, explique l’écrivain en herbe. Simplement avec un papier et un crayon. L’animateur, Jacques Petit…
— Ah, coupe Gérard un tantinet vexé, le fils du notaire.
— Non, continue Jules, son neveu. Le fils à Georges…
Le débat vrille autour des généalogies incertaines avant que Jules complète son exposé. Il détaille les moments de l’atelier, en s’enthousiasmant avec véhémence. Gérard tente quelques fois de vitupérer sur ce genre de loisirs, insensé à ses yeux, tandis qu’Albert pense avoir saisi ce dont il s’agit.
— C’est pas tout, y a la soupe qui attend, argue le détracteur de l’atelier d’écriture.
— Nourrir le corps avant l’esprit, tempère le participant en levant le doigt au ciel.
— Allez à demain, les gars, salue Albert en s’extirpant du banc.