La pêche à l'anguille

Cette activité était pratiquée par de nombreux habitants de Saint-Nicolas jusque dans les années soixante. On les appelait les pêcheurs à la trousse.

 

Si la pêche à la truite, plus fine, plus sportive nécessite un matériel plus sophistiqué, donc plus cher : cannes au lancer, à la mouche, au ver, avec moulinet, hameçons, mouches et autres leurres ; pour pêcher l'anguille un équipement simple suffit : une canne en bambou d'environ quatre mètres de long en 2 ou 3 parties que l'on assemble au moyen de viroles en laiton. Pas de moulinet, mais un dispositif en forme de U que chacun bricole à sa façon pour enrouler et mettre à longueur la ficelle de coton de un à deux millimètres d’épaisseur, qui passe à travers des anneaux en fil de fer fixés sur les cannes et porte l’appât.

 

Le deuxième élément indispensable est la boîte dénommée la bte à l’ que. Là encore : fabrication personnelle. Une boîte en bois de quarante centimètres sur vingt et vingt de haut, quatre petits pieds, une courroie en cuir pour la porter en bandoulière, avec bien sûr un couvercle à charnières et une fermeture simple. Certains l’augmentent d’une ouverture sur le devant, fermée par un grillage, d’autres prévoient un petit compartiment intérieur pour le casse-croûte. En plus de sa fonction de stockage du poisson, elle sert d'assise pour le pêcheur et de support de canne.

 

L’appât pour la pêche à l’anguille est le ver de terre. Quelqu'un armé d'une fourche-bêche est en train de retourner la terre d'un fossé, ce n'est ni un cantonnier ni un jardinier, mais un pêcheur cherchant des vers. Une autre technique consiste à enfoncer la fourche en terre et à basculer le manche d’avant en arrière, ce mouvement faisait sortir les vers. L’autre technique est d'aller aux vers de rosée, ces lombrics qui sortent de terre la nuit et laissent le matin de petits tortillons de terre sur les pelouses. Le soir, armé d'une lampe électrique et d'un petit récipient, il faut se déplacer lentement dans l’herbe rase et les allées du jardin pour surprendre les vers sortant de leurs trous. Les saisir rapidement avant qu’ils ne rentrent, mais doucement pour ne pas les casser, un coup de main à prendre ! Ces vers récupérés sont alors stockés dans une caisse en bois, remplie de terre maintenue humide au moyen de touffes d'herbes posées sur la caisse.

 

Passons maintenant à la fabrication de la « trousse ». Sur une aiguille, constituée d'un fil de laiton arrondie à une extrémité, aplatie à l'autre, pour y percer le chas qui permet d'y passer deux à trois mètres de fil provenant de bobines de coton à repriser et sur lequel on enfile bout à bout des vers de terre. Les deux extrémités du fil sont nouées pour former une boucle, on forme ensuite plusieurs anneaux de vingt centimètres de long et on attache le tout avec de la ficelle portant à l'autre extrémité un plomb d'environ 300 grammes, constitué d'un cône surmonté d'un anneau de fixation. Là encore, c’est de la fabrication locale, à partir de vieux tuyaux fondus.

 

Cette pêche ne nécessite qu'un simple permis délivré par l'association de pêche et pisciculture locale ; c'est le moins cher. Il permet de pratiquer cette activité dans les prés de l'association, mais aussi dans bien d'autres endroits privés où ces pêcheurs sont tolérés. Cette pêche sans hameçon ne permet pas d'attraper des truites, poisson très méfiant. C’est pourquoi il n'y a pas de rivalités avec leurs pêcheurs qui savent que les anguilles très voraces sont des destructeurs d'alevins. Pour les fermiers, une seule recommandation : refermez bien les barrières !

 

Le pêcheur part rarement seul. Deux ou trois amis décident d'aller passer un après-midi au bord de la rivière. Les cannes sont fixées sur le cadre du vélo, la boîte sur le porte-bagage ou en bandoulière sur le dos contient la trousse et parfois le casse-croûte, et c’est parti ! Bien sûr, on a discuté auparavant de l'endroit, les vélos sont garés chez un ami ou dans une ferme. Chacun cherche sa place au bord de l’eau, monte sa gaule avec l’appât et plouf ! On pêche.

 

L'œil rivé sur le bout de la canne, on attend. Tout à coup, l’extrémité s’agite de bas en haut : c’est la touche ! On reprend la gaule en main, et il faut alors la sortir rapidement de l’eau, mais sans brusquerie et envoyer la trousse et le plomb assez loin de la rive pour avoir le temps de se saisir de l’anguille avant qu'elle ne reparte à l'eau. Le pêcheur aplati dans l'herbe se saisit du poisson à mains nues ou à l’aide d’un chiffon et le met dans la boîte. Questions des autres amis : tu l'as eue ? elle est belle ? la capture n’est pas toujours facile, l’herbe est parfois haute, des orties ou des joncs, tout cela permet parfois à l'anguille de s’échapper. Une inspection rapide de la trousse pour voir si elle n'a pas subi de dégâts et on remet le tout à l’eau. Dans la boîte, l’anguille s’agite, donnant des coups sourds sur le bois.

 

La saison de pêche est fixée par l’association, mais certains moments sont recherchés : après un orage, quand l'eau de la rivière est trouble et puis le soir, bien que la pêche de nuit soit interdite, les pêcheurs sont tolérés jusqu’à vingt-deux heures, parfois un peu plus.

 

L’heure à laquelle le groupe a décidé de s’arrêter arrive, il y a toujours quelque récalcitrant. Attendez, j’ai une touche !, mais on finit par partir. La trousse est coupée, jetée à l’eau, les cannes repliées et fixées aux vélos. On compare les prises et on part. Saint-Nicolas est sur un plateau donc quel que soit l’endroit où l’on pêche on sait qu'il y aura une côte à remonter. Pour se donner du courage, un arrêt dans un bistrot avant la montée est le bienvenu. Le rite veut que celui qui a pris la première ou la dernière anguille paye la tournée !

 

Souvent le lendemain matin, les anguilles sont vidées et lavées et accrochées sur un porte-poisson. Si la pêche a été bonne, on offre quelques prises aux amis ou aux voisins, le reste finira grillé et mangé avec des pommes de terre à la crème, en bons Normands !